Voici le premier, qui est certainement une lecture fondamentale :
La Fabrication du Consentement - De la propagande médiatique en démocratie
de Edward Herman & Noam Chomsky
Agone 2008, collection contre feux
ISBN 978-2-7489-0072-9
(Précédemment édité par Le Serpent à Plumes sous le titre "La Fabrique de l'Opinion")
Oh que cet ouvrage a fait couler d'encre bilieuse sur le papier quadrichromie sur les deux continents. Oh que cet auteur aussi. Bon, déjà les imbéciles ressortirons l'affaire Faurisson à propos de Chomsky. Je leur répondrai que c'est un argument Ad Hominem, donc invalide, et qui plus est complètement faux. Il n'y a vraiment que quelques français à ne pas l'avoir pigé. Même les américains les plus anti-Chomsky l'ont pigé y'a déjà longtemps. Grandissez, un peu.
Passons, donc, aux choses sérieuses.
Cet ouvrage présente ce que ses auteurs appellent "le modèle de propagande", il s'agit simplement d'une convergence d'intérêts entre les journalistes, les rédactions, les propriétaires, les annonceurs et les lecteurs. Le modèle démonte de manière assez simple ces mécanismes. Essayons de résumer :
- Il y a bien longtemps que la plupart des grands journaux ne vivent plus par leurs ventes ou leurs abonnements. L'argent engrangé de cette manière n'arrive pas à payer les coûts de production, de distribution, de destruction des invendus, etc.
- L'argent manquant provient essentiellement de deux sources : le propriétaire en bailleur de fonds, les annonceurs. Même avec leur aide, les journaux sont régulièrement en perte.
- Les lecteurs, aussi jouent leur rôle de pression. En effet, même si l'argent fourni n'est pas suffisant pour faire vivre le journal, leur nombre permet de justifier les factures faites aux annonceurs. L'important est donc que le journal soit lu.
- Les informateurs : difficile d'informer à partir de rien. Quoique les mauvaises langues diront que ça n'a jamais rien empêché...
- Evidemment, le journaliste est aussi un moyen de pression sur lui-même, simplement parce qu'il est doté d'opinions. Un journaliste qui écrit dans un journal de droite n'a pas les mêmes sensibilités qu'un journaliste qui écrit dans un journal de gauche. Et, de fait, par ses propres opinions, il a l'impression d'écrire ce qu'il choisit d'écrire, comme lui chante. Mais c'est normal d'avoir l'impression d'être libre quand on est d'accord avec la ligne éditoriale...
- La propriété : le propriétaire du journal est un poids économique certain à l'heure où les journaux ont des problèmes directs de survie. Moindre publication d'articles allant à l'encontre du propriétaire, donc.
- Le budget : les journaux ne vivent plus de leur lectorat depuis bien longtemps, et la publicité est la véritable manne (mais l'argument serait déplaçable aux lecteurs si c'était le cas). Moindre publication d'articles allant à l'encontre des sponsors.
- Les sources d'information : il se trouve que l'information provient d'une symbiose entre les sources d'information et les média. Enormément de ces informations proviennent d'agences gouvernementales et sont indispensables ou aident grandement le journal. Par exemple, donner des opportunités de photo, programmer les conférences de presse en accord avec les deadlines, fournir les statistiques et rapports, compte-rendus, etc. Moindre publication d'articles allant à l'encontre des sources d'information.
- Flak (terme d'argot pour désigner le pognon et le pouvoir) : les puissants peuvent faire pression sur un media par de nombreux moyen directs ou indirects. Moindre publication d'articles écornant les puissants.
- "anti-" idéologies : il est plus facile d'exploiter la peur populaire que de tenter de relativiser ou d'aller, surtout, à contre courant. Par exemple, écrire des articles crachant sur Saddam Hussein quelques semaines avant la seconde guerre du golfe ne présentait pas de difficulté majeures, ou un article anti-français (on se rappelle les "freedom fries" ?). Moindre publication d'articles à contre-courant.
La première est l'attaque ad hominem sur Chomsky déjà décrite plus haut et à ignorer (une attaque ad hominem est un paralogisme, pas un argument).
La seconde, c'est l'habituel "mais moi je suis en liberté, j'écris ce que je veux". A cela, quoi de mieux que la réponse de Chomsky : "I don't say you're self-censoring - I'm sure you believe everything you're saying; but what I'm saying is, if you believed something different, you wouldn't be sitting where you're sitting."(Traduction : Je ne dis pas que vous vous auto-censurez, je suis sûr que vous croyez tout ce que vous dites; mais ce que je dis c'est que si vous croyiez quelque chose de différent, vous ne seriez pas assis où vous l'êtes.) (1)
La troisième, enfin, consiste à balayer tout cela d'un revers de main en disant "théorie du complot". Normalement, il y a une poussée de menton ou un ton un peu condescendant. Cet argument de la théorie du complot est fascinant, car il ne nécessite pas d'arguments, apparemment. Il se suffirait à lui-même. "Théorie du complot", hop, passons à autre chose. Pourtant, il faut démontrer que Herman et Chomsky présentent une théorie du complot pour que cet argument soit valide. Or ce n'est pas le cas. Les auteurs présentent une somme d'intérêts convergents ou chacun va agir dans la direction qui semble la meilleure dans le cadre de ses intérêts proches. Nul complot, nulle organisation. Simplement le désir de survie ou la meilleure opportunité ou l'envie de fainéantise, de chacun des acteurs concernés.
Le reste de l'ouvrage est consacré à nombre d'exemples très détaillés de traitement différents de cas similaires par les même médias, à l'appui de l'ouvrage.
(1) : Interview by Andrew Marr on BBC2, February 14, 1996