Jusqu'à Quand ? - Pour en finir avec les crises financières
de Frédéric Lordon
Raisons d'Agir
ISBN : 978-2912107428
Ce petit opus, même s'il est dans les plus gros livres de la collection (deux fois plus épais) est si bien écrit, en termes de clarté, qu'on arrive à la fin avec un goût de trop peu. Pourtant, il est question ici d'économie, et d'économie financière, le machin dont les journaux répètent régulièrement que le sujet est "complexe".
Ce n'est plus si complexe une fois ce livre lu. Il est clair, concis, détaillé et ... révoltant (au bon sens du terme).
La première partie du livre détaille donc le fonctionnement de l'économie financière dérégulée. Il aborde tout le système et son évolution, avant d'étudier le mécanisme de la crise. Finalement, la logique est assez simple si tant est qu'on aie deux sous de culture en comptabilité. En résumé, ils se sont tous bercés d'illusions, mais comment ne pas le faire quand le système y incite et que les illusions valent, temporairement du moins, des milliards de dollars ? Dur. Et le système financier est si bien conçu que les voix rebelles y sont punies (dans des tableaux d'honneur, et autres gadgets précurseur de la "reputation value" annoncée par les écrivains de SF, comme C. Stross).
Ce qui s'est cassé la gueule, donc, pour le dire clairement, c'est l'idée de suppression totale du risque dans le marché des crédits. Comment ont ils réalisé cela ? Il suffit de prendre ses crédits (par exemple immobiliers, au hasard), de les mélanger dans une boîte noire (appelée SPV) et d'en ressortir des titres. La différence entre les entrées (qui sont le paiement des crédits) et les sorties (sous forme de titres) est que les titres sont catégorisés et qu'il y a une règle de répartition des défauts de paiement, c'est-à-dire quand l'argent ne rentre plus.
Bon, c'est plus compliqué que ça, mais je n'ai pas toutes les pages, ni tout le talent, qu'a M. Lordon pour expliquer tout cela. Le seul truc à retenir c'est que ce système se bercait d'illusions valables uniquement quand tout va bien, renforcées de leviers pour maximiser les gains, le tout arrosé de nombre d'assurances prises (la prochaine crise). Sauf qu'au premier coup de vent généralisé, comme une crise d'immobilier, tout le système éclate comme une bulle, *pop*. Et les leviers maximisent dans les deux sens, donc désormais, les pertes. Et comme les assurances ne fonctionnent que quand le problème n'est pas généralisé, le pire est encore à venir.
Mais M. Lordon propose des solutions. Et lui, contrairement aux économistes médiatiques habituels et habitués, qui nous vendent la soupe de la dérégulation à toutes les sauces mais ont méchante tendance à retourner leur veste quand la bulle éclate, M. Lordon, donc, n'a pas retourné sa veste et ce qu'il propose est dans la droite ligne de ses écrits antérieurs (on se rappele d'ailleurs son article "Les Disqualifiés" dans le Monde Diplomatique, nov. 2008).
Finalement, lui répond aux questions que je me posais depuis longtemps quant aux pétitions de principe fournies par les autres. La question "pourquoi ?" que j'applique à chaque pétition de principe, donc:
"L'économie de marché est ce qu'il y a de mieux". Pourquoi ?
"On ne peut plus s'en passer." Pourquoi ?
"Cela apporte tant à l'économie réelle." Pourquoi ?
Il est possible de remplacer par "prouve-le", ça marche aussi.
Bref, M. Lordon reprend au cours de son livre chacune de ces assertions et, y répondant, les démonte sévèrement, avec arguments. Lui ne se contente pas de pétitions de principe et autres paralogismes.
Les solutions qu'il propose semblent méditées depuis longtemps, d'ailleurs.
Utilité au militant de gauche :
Au-delà de la rage provoquée, ce livre apporte beaucoup.
- Déjà, il permet de comprendre dans le détail le mécanisme de la crise. Disons avec un niveau de détail suffisant, car le mécanisme a été répété sur lui-même de nombreuses fois, mais ne complexifie qu'un système erroné à la base (diffuser et augmenter le risque en croyant l'avoir supprimé).
- Ensuite, il permet de répondre au discours ultra-libéral. Il permet déjà de poser des "pourquoi" à la fin de chacune des justifications habituelles, ce que les journalistes ont à mon avis cessé de faire depuis longtemps, hélas. L'économie financière régulée a fonctionné parfaitement pendant 40 ans. Les banques se sont passé pendant des décennies de la titrisation, elles pourraient à nouveau s'en passer. L'économie financière n'apporte que très, très peu à l'économie réelle comparativement aux sommes d'argents générées (totalement artificiellement, on peut parler d'économie virtuelle). Les banques sont des organismes censés prendre des risques raisonnables et les porter, pas s'en débarasser sous le premier tapis venu, même si des rentabilités mirobolantes miroitent à l'horizon comme tout bon mirage qui se respecte.
- Enfin, il propose des solutions : de réglementation du système, de nationalisation des places financières, de primes arithmétiquement reliées au profits/pertes des traders, etc. Des solutions qu'il détaille à la fin de son ouvrage et sont la logique suite de tout ce qu'il a décrit. Des solutions que les partis de gauche pourraient examiner et éventuellement inclure dans leur programme, pourquoi pas ? Je vois au moins trois partis qui pourraient commencer à baser leur réflexion sur les propositions de ce livre.