Quand on regarde la société d'aujourd'hui, on peut se dire que William Gibson n'écrit pas du cyberpunk. Peu ou prou, il écrit des textes de légère anticipation depuis toujours. C'est une illusion, notre monde n'était pas ainsi dans les années 80, quand son Neuromancer fut enfin publié.
Où est-ce que je souhaite en venir ? Je souhaite ici faire remarquer que la partie "punk" du cyberpunk était une excellent vision des années 2000 puisque les différences sont pas si nombreuses entre notre monde de 2009 et celui envisagé dans Neuromancien /Comte Zero (je n'ai pas encore relu Mona Lisa s'Eclate).
Tout d'abord, faisons le tour de la partie "cyber". Si la technologie a énormément évolué en 20 ans, cette évolution ne s'est que partiellement faite dans le sens envisagé. Oui, on peut discuter avec la terre entière, oui les entreprises ont leur site, oui on peut acheter sur le réseau etc. En fait, mis à part l'aspect visuel de ce réseau et son fonctionnement premier pour le péquin moyen, les différences sont faibles. Au niveau "chrome, cyber et mullets", là ça a bien vieilli, car c'était une vision du futur inscrite dans les critères esthétiques du passé. Les membres cybernétiques n'existent pas encore, et pour les quelques éléments au point, ça tient plus de la prothèse que de l'augmentation. Toutefois, pour nuancer : les implants, du moins leurs fonctionnalités, existent bien. On a tous ou presque un téléphone portable qui nous sert de "puce mémoire" (inutile de mémoriser son répertoire) et de "dataconnect" (pour surfer sur la dernière connerie dailytube). Combien de personnes utilisent des oreillettes bluetooth ? Le GPS ? Faire ses courses sur le ouèbe ? Etc. Fascinant.
Là où c'est plus fort, c'est sur la partie "punk". Le cyberpunk a pour caractéristiques que la société deviendrait une immense corpocratie, avec des grands groupes ("megacorpos") plus puissantes que les gouvernements, qui feraient régner sans concurrence le libre marché, l'être humain n'étant plus qu'une ressource parfaitement jetable. Ces romans se centrent la plupart du temps sur des personnages interlopes, qui essaient désespérément de survivre dans un système qui les broie (à ne pas confondre, donc, avec le mouvement postcyberpunk où les personnages essaient de changer le système). Que constate-t-on aujourd'hui ? Que les êtres humains vivent dans un monde dirigés par les mégacorpos (lire mon billet précédent sur "Le Monde selon Monsanto") et qu'ils rentrent la tête entre les épaules en attendant des jours meilleurs, avec un fossé énorme entre les "riches" et le reste du monde. Fossé qui ne peut que s'agrandir. La pollution, les guerres "marketing/mediatique" et la marchandisation de la planète sont une conséquence évidente de ce qui précède... C'est donc vraiment ici, à l'aune d'aujourd'hui, que le mouvement cyberpunk est d'un visionnaire à couper le souffle. Les romans, les intrigues, peuvent avoir vieilli, mais cette vision du monde reste là.
Dans Comte Zero, on a des grandes corporations ayant d'énormes moyens de pression, et de violence. Les hommes à leur tête sont dénués de toutes considérations éthiques ou morales : seul l'objectif final les concerne et les hommes, ainsi que les gouvernements, ne sont que des outils.
Neuromancien, Comte Zero, Mona Lisa S'Eclate (le tout connu sous le nom de Sprawl Trilogy) de William Gibson
Chez Folio SF, J'ai Lu ou le Diable Vauvert
Les derniers romans de Gibson (Identification des Schémas et Code Source) ne sont plus situés que dans un futur extrêmement proche voire le présent.
Je me permets juste de pointer sur le site où j'ai pris l'image.
Petite anecdote : la célèbre première phrase de Neuromancien parle d'un "ciel couleur d'une télé branchée sur un canal mort". Neil Gaiman faisait remarquer qu'aujourd'hui, une télé branchée sur un canal mort présente un écran bleu roi.